Black Tuesday

7h59

Encore une minute. La foule est compacte. Massive. Dense. Je sens la pression, de plus en plus intense, de chaque côté de mon corps. Faire abstraction. Focaliser mon attention sur l’objectif. Respiration contrôlée. Poings serrés. Une goutte de sueur perle sur mon front. L’attente est quasiment terminée, mais rien n’est encore joué. Au contraire, c’est maintenant que tout commence. Face à moi le rideau de fer entame enfin son ascension, comme au ralenti. J’essaie de résister, de faire barrage. Au moins gagner la bataille des premiers mètres. Il faudra 45 secondes pour que la grille soit totalement relevée, puis 15 secondes pour franchir la double porte vitrée avant qu’elle ne se referme. Ensuite ? Il n’est pas nécessaire d’y songer. Je suis prêt. Mon plan est parfaitement clair. Précis. Moins de 15 secondes. Je ferme les yeux. J’ai juste le temps de repenser à la genèse de cette histoire. Et comme bien souvent, tout démarre au bar…

7h59 et 50 secondes

4ème tournée. Max, Léo, Lucas, les deux Mélanie : Mel B. et Mel C. en hommage au Spice Girls, Zaza, Kamel, Mia, Franck, nous étions tous d’accord sur le fait qu’il fallait changer les choses, comme nous étions parfaitement convaincus que rien n’émergerait jamais de ce conciliabule. Notre réflexion collective était consumée aussi promptement que les Mojitos, Spritz, bières, Devilish Don que nous venions d’enchainer, mais cela faisait partie des incontournables sujets de conversation qui permettaient à chacun d’exprimer son point de vue. Il nous restait encore du temps avant la fermeture du bar et hormis quelques apartés sur les événements sportifs, nous ne nous étions pas encore assez épanchés sur la politique, les réseaux sociaux, le climat, l’alimentation, les dangers de toutes sortes, les séries télé, la famille, les amis, les médias. Comme nous avions peu ou prou les mêmes sources d’informations, nous n’apprenions rien de vraiment nouveau, mais quelle importance ? C’était à mon tour de payer et j’espérais secrètement que mes collègues auraient la délicate attention de se contenter d’eau du robinet. Cela me semblait tout de même bien mal engagé.

– Qui veut quoi ?
– La même chose
– Pareil
– Un verre de vin blanc sec
– Gin Tonic
– hummmm, je sais pas
– Irish Coffee
– Irish Coffee ? Non mais quoi d’autre encore ?
– Champagne !

Mel B. me toisait du regard, sûre d’elle, anticipant une remarque cinglante de ma part, la répartie sans doute préparée depuis un bon moment. Je n’étais pas spécialement réputé pour mon calme, mais il fallait l’admettre, le jeu n’en valait pas la chandelle. Il y avait plus de risque de se mettre tout le monde à dos et de passer pour un radin. Si seulement c’était un homme hétéro j’aurai pu m’en donner à coeur joie, mais elle était pansexuelle, féministe et vegan… absolument intouchable, une sorte de vache sacrée des temps présents et pas une vache maigre, plutôt de la bonne limousine.

– Ok champagne…
– Ruinart
– Quoi Ruinart ?
– Du Ruinart, je veux du Ruinart.
Oh putain, elle me cherche. Je reste impassible. Une mer d’huile. Zen. Petit Bambou.
– Alors, une coupe de Ruinart pour Mel B.

Silence. Après quelques secondes d’atermoiement, chacun opte finalement pour un simple renouvellement de sa consommation. Fred, le barman, était installé comme à l’accoutumé derrière son comptoir. J’allais à sa rencontre, slalomant de mon mieux entre les tables très peu espacées. Fred était un mec vraiment adorable qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Christopher Lee, l’acteur qui avait notamment incarné Dracula, Saroumane dans le Seigneur des Anneaux et le Comte Dooku dans Star Wars. Pour compléter son flippant faciès, il disposait d’une voix gutturale aux accents slaves qu’il modulait à la perfection.

– Bonsoir cher ami Voltaire, que puis-je faire pour toi ?
Non, Voltaire n’était pas un surnom. Oui c’était mon vrai prénom. Voltaire Legland. Mon père, professeur de lettres avait tout de même hésité avec Fiodor pour Dostoïevski. Finalement je ne m’en étais pas si mal tiré… pour quelqu’un dont le nom de famille est Legland.
– Alors, 7 la même chose, 1 Irish Coffee et 1 coupe de Ruinart…
Fred leva une paupière faussement intrigué.
– Mélanie ?
– Oui
Il esquissa un léger sourire, se retourna et prit une bouteille de crémant d’Alsace.
– Un jour je lui ai dit que c’était du Ruinart. Depuis elle en est persuadée.
– T’inquiète pas, je ne risque pas de révéler ce petit secret !

Je retournais à la table de bien meilleure humeur. Et pourtant, une angoisse existentielle me taraudait tandis que je jetais un coup d’œil circulaire sur la faune présente dans le bar. A droite, une table de cinq jeunes d’une vingtaine d’années. J’aurai voulu dire insouciants et libres, mais cela semblait ne pas être le cas. Au contraire, ils étaient ensemble, mais seuls. Leurs yeux totalement rivés sur leurs portables. Une des filles, très concentrée, agençait au mieux les verres et les mitraillait avec son téléphone sans doute pour Instagramer. Son visage grave et sérieux se mua instantanément en une expression souriante, connotée et quelque peu grivoise. Elle demanda à ses deux voisins de se rapprocher d’elle, pour un selfie qui serait probablement légendé afin de faire rager sa communauté. Sitôt la photo terminée, sa figure redevint impassible, neutre, sans affect, vide et ses amis reprirent instantanément leurs positions, sans un mot. Fixés sur leurs smartphones. Un peu perturbé et attristé par ce spectacle qui me laissait un goût amer, je ressentais une vague de nostalgie pour une époque révolue mais pas si lointaine, que nous avions pourtant largement dénigrée, naïvement persuadés que le futur nous comblerait plus que nous ne le méritions. Au lieu de cela, nous étions devenus des zombies 2.1 phagocytés par les réseaux et autres fils à la patte virtuels… Avant, la picole au bar, c’était du sérieux ! on refaisait le monde aussi mais de façon beaucoup plus amusante, enfin, si j’en croyais les quelques bribes de souvenirs encore vivaces qui me restaient.

7h59 et 51 secondes

– Alors Voltaire, tu t’es perdu ?
– Non, je bloquais sur les petits jeunes là, tous sur leurs portables. Ca sert à quoi d’être avec des gens si c’est pour ne pas les regarder et être ailleurs ?
– Vu ta gueule, je préférerais ne pas te regarder et être ailleurs…
C’était Zaza de la compta, une vraie boute en train. Dire que j’avais filé 10 euros pour son cadeau de rémission de cancer. Continue toi aussi à te foutre de ma gueule et je ne participerai pas à la couronne mortuaire le jour venu ! Évidemment, toute la tablée s’en donnait à cœur joie.
– Ahah très drôle Zaza. Mel, ça va le champagne est à ton goût ?
– Un délice, mais bon encore faut-il être connaisseur pour apprécier …
Je me demandais vraiment ce que je faisais ici, parmi ces personnes semi étrangères avec lesquelles je passais l’essentiel de mes journées mais qui au final ne savaient rien de moi. Arc-boutés et dépendants des préjugés qu’ils s’étaient forgés. Léo, lui aussi absorbé par son smartphone, se mit à bouger frénétiquement. Instantanément, toute notre attention se porta sur lui. C’était un garçon taciturne et pas particulièrement énergique de l’informatique, le voir ainsi, nous intriguait au plus au point.
– Il fait une crise d’épilepsie ?
– Ca va Léo ?
– Non mais c’est ouf, il se passe un truc absolument incroyable ! C’est une dinguerie !!
– Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
Léo était extatique, comme possédé par la nouvelle qu’il venait d’apprendre. Nous étions suspendu à ses lèvres, curieux et avides de comprendre ce qui valait la peine de se mettre dans un tel état. Kamel, qui faisait partie du même service que lui, essaya avec un peu plus de délicatesse d’en savoir plus.
– Bon, Rain Man, c’est quoi le deal ? T’as eu un an d’abonnement à Pornhub offert par tes parents ?
Le jeune Geek ne cherchait même pas à se défendre. S’il y avait bien quelque chose que nous avions tous en commun, c’était cette incapacité à attendre et là, il nous mettait au supplice.
– Ca vient de tomber sur le Dark Web et c’est remonté sur Reddit, dans même pas 10 minutes vous aurez tous l’info sur vos fils d’actu.
Il prit une longue inspiration avant de poursuivre son explication.
– Neo Famicom, le plus grand fabricant de consoles de jeux vidéo au monde a décidé de mettre en vente 5 exemplaires de la plus exceptionnelle des machines. C’est quasiment la bête ultime, un condensé de technologie qui synthétise tout ce qu’il y a de mieux à l’heure actuelle et bien plus encore. Ils ont signé un accord d’exclusivité avec la chaîne de magasins Highstore et vous savez quoi ? Le shop choisi pour l’occasion c’est celui de Bordeaux Lac !
– 5 dans le monde ? elle va être à 1 milliard d’euros ta console !
– En fait non, au prix de la XT5 actuelle. L’objectif n’est pas là, ils veulent créer une sorte de happening géant, transcender l’expérience videoludique mais dans la réalité, ils sont talonnés par GameCorp qui propose de meilleurs produits à prix plus attractifs, alors quoi de mieux que d’organiser un événement sans précédent pour rallier les masses ? C’est pareil pour l’enseigne et les médias qui vont orchestrer ce Battle Royale hors normes.
– Je comprends rien …
– Séries limitées. Précommandes. Ruptures de stocks programmées. Impensable dans un monde de surproduction et pourtant ? Il faut bien susciter le désir par tout moyen. Ce que propose Neo Famicom est absolument génial, une révolution de l’acte d’achat, un retour aux basiques, aux fondamentaux. Aujourd’hui tout est fait pour endiguer les frustrations, il n’est quasiment plus nécessaire d’attendre pour avoir : Livraisons express, séries, films, tout est mis à notre disposition en un clic. L’instinct primitif s’étiole, sauf dans des cas particuliers comme le Black Friday, regardez ce que nous sommes prêts à faire pour nous emparer d’un bien que nous convoitons. Léo brandit son téléphone pour nous montrer une vidéo montage diffusée sur Youtube d’émeutes en magasins :

Combien d’entre nous autour de cette table seraient prêts à faire la même chose ? Même avec quelques verres dans le nez ? nous sommes suffisamment éduqués pour dire que jamais nous ne nous comporterions ainsi, de même que, j’en suis sûr, nous ne commettons jamais d’incivilités… Nous prétendons être des citoyens modèles, réfléchis, socialement stables… mais qui sommes nous vraiment lorsque nous ne sommes guidés que par notre instinct, l’animal en nous aux commandes ? Neo Famicom va créer une nouvelle génération de joueurs et bouleverser nos habitudes.

– Mais comment il parle le Geek ?

ENTRACTE

Interludes musicaux

Love Is My Destination est une chanson d’Edwin Starr parue en 1968, il s’agit de la face B de Twenty-Five Miles. Edwin Starr est un des plus grands chanteurs et compositeurs de soul d’abord au sein du label Ric-Tic puis de la Motown, son hit le plus populaire est le très engagé War, contre la guerre du Viêt Nam.

We’re Not Gonna Take It est une chanson du groupe américain Twisted Sister tirée de leur album Stay Hungry sorti en 1984. Ce titre emblématique du glam rock a été écrit par le charismatique chanteur du groupe Dee Snider. Le clip pour sa part a été réalisé par Marty Callner. Fait marquant Mark Metcalf reprend son personnage de Douglas C. Niedermeyer du film Animal House de 1978. Symbolisant le conformisme petit bourgeois contre lequel le rock s’érige, il se rend au début de la vidéo dans la chambre de son fils pour lui faire une leçon, finissant par le sempiternel « Que veux-tu faire de ta vie ? », ce à quoi le fils répond « Je veux faire du rock ! « We’re Not Gonna Take It » en gros, on va pas se laisser emmerder !

FIN DE L’ENTRACTE

.7h59 et 52 secondes

Le discours du gamin était très intéressant, même si je n’étais pas particulièrement préoccupé par l’avenir du jeu vidéo, en revanche j’avais bien accroché à son histoire de chasse au trésor. Après tout qu’avais-je à perdre ?
– Ca va se passer comment ? Pour trouver la console ?
– Neo Famicom va faire une conférence de presse spéciale le 15, pour expliquer les modalités de participation.
– En tout cas moi, je suis chaud pour m’inscrire !
– N’importe quoi, encore un truc masculinisé, genré, complètement binaire, pour abrutir les gosses.
– Contrairement à ce que tu dis, c’est très inclusif !
– Ah oui les jeux de guerre, sports, ça s’adresse à qui ?
– C’est toujours le même débat, vous focalisez toujours sur les points de crispation sans prendre en compte tous les éléments.
– Non mais tu vas pas me donner de leçon, t’as quel âge ?
– Donc d’un côté tu prônes l’inclusion et de l’autre tu rejettes mon raisonnement sur la base de mon âge ? C’est pas un peu contradictoire ?
– Moi je suis pour la paix inclusive, exclusive et universelle ! donc la personne qui prend la console, elle passe en caisse comme si c’était une console classique ?
– Je pense que ça va être un peu plus dur que ça…
– Bon, en tout cas ce qui est sûr ce que je vais participer et ramener la console à la maison ! Juste pour avoir une idée, elle se revendrait combien ?
– Beaucoup plus que tu ne peux l’imaginer !
– Compte sur moi pour l’imagination

7h59 et 53 secondes

Quelque part dans Tokyo au siège de Neo Famicom Corp. 59ème étage

He-Man the Masters of the Universe series for @complexcon in @kaikaikikigallery

Le bureau était immense, décoré de tableaux authentiques ou de sculptures de JM Basquiat, Banksy, Obey, JR, Takashi Murakami, Madsaki, Kaws, Maurizio Cattelan, de flippers et de bornes d’arcades de toutes sortes et de toutes génération, 4 écrans 8k formaient une mosaïque High Tech affichant là les cours de la bourse, ici une chaîne d’info continue, l’autre une agrégation de l’ensemble des réseaux sociaux et enfin des lives de jeux vidéos avec le classement en temps réel des meilleurs joueurs. Derrière l’homme aux lunettes fines en argent, de larges fenêtres qui offraient le plus beau des spectacles sur la ville et sur le ciel. Son fauteuil en cuir s’inclina légèrement, il aimait cette position qui selon lui, favorisait sa réflexion. Il jeta un œil sur son ordinateur 32 pouces et constata semi amusé qu’il ne lui restait que 500 mails à traiter. Il esquissa un demi sourire et daigna accorder un peu d’attention à son interlocuteur. Être face à Monsieur Myiagi était pour Kendo une sorte de consécration. Il espérait ne pas se montrer trop nerveux et respira doucement par le nez.

– Kendo, vous êtes, si je ne m’abuse notre directeur communication, en charge des consoles de jeu ?
– Oui Monsieur Myagi !
– Vous êtes dans notre compagnie depuis 15 ans et avez franchi tous les échelons, vous êtes en quelque sorte, vous aussi un produit maison.
– Oui Monsieur Myagi!
– Vous venez aujourd’hui me parler du projet LBOUND ?
– Oui Monsieur Myagi !
– Bien, je vous écoute
– Merci Monsieur Myagi ! Nous travaillons sur le projet LBOUND depuis 1 an maintenant. Nous avons organisé plus de 20000 enquêtes partout dans le monde, pour nous assurer qu’il était non seulement viable, mais espéré par notre public cible. Le projet a pour finalité de créer un nouveau mode de consommation. Nos joueurs se lassent de la facilité avec laquelle ils obtiennent leur matériel, équipements, jeux. Ils trouvent cela trop évident, même les précommandes ne génèrent plus d’excitation. Les plus malins ont créés des algorithmes qui leurs assurent la primeur sans aucune difficulté. Les joueurs veulent se challenger, se confronter pour obtenir ce qu’ils désirent. C’est pourquoi nous avons imaginé une sorte de grande bataille retransmise en direct sur tous nos réseaux ainsi que sur une chaîne télévisée partenaire. Pour participer, les concurrents devront s’inscrire en ligne. Nous en sélectionnerons 100 dans un premier temps, 50 après une première étape, puis 20 seront finalistes. 5 remporteront la victoire finale, à savoir notre modèle le plus iconique et le plus prisé, jamais mis en vente jusqu’à présent, la version Alpha + de La XT5. Nous serons associés à une chaîne de magasins, qui transformera l’une de ses boutiques pour l’occasion. Nous sommes en cours de finalisation des épreuves, mais la dernière sera la plus grandiose. Nous avons déjà concocté une base de profils nécessaires pour faire adhérer tous les publics. Il sera également possible de parier sur son champion.
– Un projet somme toute ambitieux, qui débouchera sur ?
– Dès le lendemain nous commercialiserons la XT5 Alpha+ chez notre partenaire, qui aménagera des stands dans l’esprit du LBOUND et bien sûr nous sortirons dans le même temps, le jeu vidéo LBOUND ONLINE, avec les personnages modélisés. D’après les premières simulations nos recettes dépasseront le milliard de dollars en moins d’une semaine.
Le siège de Yoshi Myagi s’inclina un peu plus.
– Excellent Kendo… ne serait-il pas judicieux, d’après vous, de nous porter acquéreurs de cette chaine de magasins ?
– Monsieur Myagi, l’idée me parait formidable, ainsi nous aurons le contrôle total et bien plus encore.
L’homme d’affaires acquiesça, satisfait.
– Prévenez votre femme et vos maitresses Kendo, vous aurez bientôt de quoi largement de quoi les combler !
– Merci Monsieur Myagi
– Vous pouvez disposer
Kendo Nakata traversa le bureau ni trop vite, ni trop lentement et referma délicatement, sans un regard derrière lui, la lourde porte en bois, reproduction à l’identique du château d’Himeji.

Arrivé au 17ème étage, l’ambiance était bien différente, rap américain en fond sonore, éclats de rire, le service communication, fort de son armée d’une vingtaine de digital natives détonnait dans la respectable maison. Kendo aurait pu manager la comptabilité, ou encore la logistique, il s’en moquait, seul lui importait le résultat. Il se plaça au milieu de l’open space. Ses ouailles coupèrent le son et observèrent le silence.
– Comme vous le savez, j’étais en entretien avec Monsieur Myagi afin de lui présenter LBOUND. Monsieur Myagi est l’un des plus grands patrons au monde et il n’est pas facile à convaincre, il a donc fallu que je lui apporte beaucoup de preuves et que je m’engage personnellement au nom de notre service sur la réussite du projet. Malgré ses réticences, craintes et objections, il a fini par accepter.
Un tonnerre de hourras et d’applaudissements retentit dans le service.
– Le travail commence maintenant ! Si nous voulons que LBOUND obtienne le succès qu’il mérite, il va falloir redoubler d’efforts et s’investir à 400%. Si vous ne vous en sentez pas capable, partez maintenant, il n’y aura ni honte ni déshonneur, cela prouvera simplement que vous n’êtes pas fait pour des projets de cette envergure ou pour travailler au sein d’une compagnie comme Neo Famicom. Alors quelqu’un souhaite renoncer ?
Pas un membre de l’équipe ne bougea, ils étaient tous prêts à relever le défi lancé par Kendo.
– Très bien, il est temps de déclencher le niveau 1 de notre plan. Les community managers, vous m’implantez une charge virale dans le dark web, je veux que l’on croit que c’est une fuite de chez nous, donnez les infos principales sur le projet mais pas trop non plus, juste ce qu’il faut pour alimenter l’imaginaire, emmenez les vers Reddit et alimentez le fil de conversation, là aussi soyez vigilants, faites ce qu’il faut avec les adresses IP etc. le reste suivra… Dès que ce sera lancé on aura 2 ou 3 heures devant nous pour lancer la deuxième phase. Tout le monde est prêt ?
La détermination de l’équipe ne faisait aucun doute, qu’ils arborent une crête d’iroquois, des tatouages sur le visage, des piercings ou autre signe distinctif, ils affichaient tous la même expression : Celle d’un lion en cage affamé, à qui on venait d’ouvrir la grille, avec au menu du jour les visiteurs du zoo.

7H59 et 54 secondes

Réveil gueule de bois, les tournées s’étaient enchaînées jusqu’à la fermeture du bar et j’étais rentré chez moi parfaitement éméché. Personne ne m’attendait. J’étais seul. Le cœur serré. L’alcool était devenu un allié aussi traître que réconfortant. Je me foutais bien de cette histoire de console, mais si je pouvais me rendre fier en accomplissant quelque chose… je chassais cette idée à coup d’anxiolytiques, gobés avec une tasse de café lyophilisé. En à peine trente minutes, j’étais prêt pour me rendre au travail, mon lieu principal de vie sociale. Je pris quelques instants pour me regarder dans le miroir de l’entrée. Je ne voyais rien. J’étais transparent. Il était grand temps de redonner de la consistance à cette enveloppe charnelle et de faire le nécessaire pour que l’âme égarée regagne enfin ses pénates. J’étais galvanisé, même si le comité d’accueil qui m’attendait au bureau avait pourtant de quoi me refroidir… Mes acolytes de soirée excellaient dans l’art de créer des histoires et bien évidemment tout le monde savait que j’étais prêt à m’inscrire au concours organisé par Neo Famicom et Highstore. Comme l’avait prédit Léo, les médias ne parlaient que de ça.

Article tiré de Konbini : Neo Famicom et Highstore s’unissent pour révolutionner l’histoire du jeu vidéo
De mémoire de Gamers, on avait jamais vu ça ! Un hack de haute volée sur le Dark Web dévoilant un document interne de Neo Famicom, partagé sur le réseau Reddit. Loin de démentir, le leader du jeu vidéo a bien confirmé l’opération via un communiqué de presse, mais à promis des poursuites à l’encontre des hackers. Il s’agit d’un projet inédit, digne d’un Charlie et la chocolaterie 2.1 : Le mix ultime entre Battle Royale et la chasse au trésor. 5 exemplaires de la plus convoitée des consoles seraient à acheter dans le nouveau magasin de la chaine Highstore situé à Bordeaux (oui vous avez bien lu) selon un procédé qui reste un mystère. D’après le constructeur qui a boosté ses serveurs pour tenir la charge, ce ne sont pas moins de 800 000 afficionados qui tentent de s’inscrire sur le site toutes 5 minutes. Si malgré tout vous voulez tenter votre chance jusqu’à ce soir 23h59, remplissez le formulaire en ligne disponible sur Neo Famicom et Highstore.

– Alors ça y est, tu t’es inscris, ou tu vas renoncer ?
L’inénarrable Zaza venait telle une hyène repérer sa proie.
– Attends, je suis sur le site de Neo Famicom.
Contrairement à l’idée que je m’étais faite du formulaire, tests QI, psychomoteurs, ou encore un calcul d’imc, il suffisait de connecter les réseaux auxquels on était abonné, donner son gamertag si on était possesseur d’une XT5, ce qui était mon cas et accepter un disclaimer de 10 pages pour satisfaire aux exigences du RGPD. Il y avait probablement des petites lignes intéressantes mais je n’avais pas le temps, il fallait que cette connasse de la compta constate par elle même que j’étais dûment enregistré.
– Voilà c’est fait ! Qui d’autre s’est lancé dans l’aventure ?
– Tous les jeunes, tu es le seul quadra de la boîte à avoir osé … génie ou imbécile, seul l’avenir nous le dira.
– J’ai une chance sur combien ? Quelques millions d’être choisi, ça va j’arriverais à survivre si je ne suis pas sélectionné.
D’ailleurs en toute logique je n’avais aucune chance. Ma vie en ligne était aussi désertique qu’en réalité. Quelques matchs avec des bots sur les sites de rencontre. A peine une centaine de contacts sur les réseaux sociaux … je n’étais pas du tout dans la cible.

Au siège de Neo Famicom Corp. 17ème étage

Kendo exultait, la première étape était un succès absolu avec plus de 300 millions d’inscrits. Les serveurs étaient à bloc et lui aussi. Son dealer lui avait fourni de nouvelles pilules qui lui donnait la sensation d’être totalement irrésistible. Les algorithmes tournaient à plein régime, le tri se faisait à la vitesse de la lumière.

– Alors, hurla-t-il à la cantonade, on en est où ?
Un timide sous fifre se leva et malgré sa peur prit la parole :
– Monsieur Kendo, nous avons déjà éliminé 99% des profils, nos machines se concentrent sur le pourcentage restants, nous aurons une liste de 100 individus dans moins d’une heure !
– C’est trop long, démerdez-vous, je veux que l’annonce des résultats soit diffusée à 12h30, soit 19h30 en France. Bougez-vous le cul ou je vous dégage moi-même !
– Oui Monsieur Kendo, c’est entendu Monsieur Kendo, je m’en occupe !
– Tout le monde est prêt pour la phase 2 ? scanda le manager survolté.
– Oui chef ! répondirent d’une même voix ses employés pourtant exténués. Le directeur des ventes débarqua en trombe dans l’open space.
– Kendo, nos ventes ont augmenté de 1000% et l’action est au plus haut, c’est un record historique !
Le manager n’arrivait plus à contenir sa jubilation. Il était le Napoléon du jeu vidéo et bientôt gouvernerait un peu plus que cette équipe d’empafés.
– Bon, l’américaine, il est temps de nous expliquer en quoi consiste la phase 2 !
Ashley était une ravissante jeune femme de 24 ans, aussi blonde que possible, diplômée entre autre de Stanford, polyglotte : anglais, japonais, français, espagnol, qui était à la genèse du projet LBOUND.
– A partir de ce soir, nos 100 compétiteurs seront prévenus par voie de presse. La surprise sera totale. Nous les contacterons bien entendu dans la foulée, pour leurs fournir les ressources nécessaires en fonction de leur situation. Dans cette phase de binarisation, seront extraits les profils les plus prisés par nos consommateurs, autant ceux qu’ils apprécient, que ceux qu’ils haïssent. Pour cela, les participants seront soumis à une compétition en ligne de deux heures, sur notre simulateur de comportement. Ils seront confrontés à des situations stressantes, comme fuir ou se battre, tricher ou dire la vérité etc., nous n’avons pas pour objectif de choisir entre les passifs, agressifs ou assertifs, mais de laisser le public choisir ceux qu’ils considèrent comme ayant le plus grand potentiel de survie dans un environnement hostile. Bien entendu nous avons déjà identifié 10 persona qui, quoiqu’il arrive seront qualifiés arbitrairement.
– C’est très clair Ashley, je vous laisse poursuivre les opération.
Ashley opina du chef et regagna son poste. Elle essayait de maintenir au mieux les apparences, mais c’était elle qui devrait être aux commandes et non pas ce pitre de Kendo. Aucune allure, aucune envergure, encore un gagne-petit, bénéficiaire des promotions internes, qui s’était retrouvé à une place qui n’était pas la sienne. La jeune femme d’apparence policée soupira et méprisa intérieurement cette mascarade. Elle avait pensé les japonais plus intelligents que cela, ou même ses collègues qui passaient leur temps à récurer les fonds de web pour glaner des bribes d’info. Pourtant cela semblait évident et elle n’avait rien caché. Son nom de famille était Bailey – Hudson, le même que celui de son père William Bailey – Hudson, propriétaire des 2500 magasins Highstore, première chaîne au monde dans le secteur de la  High-tech, présente dans 40 pays. Pour la petite histoire, William Bailey – Hudson avait précocement hérité d’une fortune estimée à plus de 300 millions de dollars, lorsqu’il avait fondé sa propre compagnie. Son meilleur ami, Mike King lui avait dit alors : « Parfois, ce sont les personnes qu’on imagine capables de rien qui font des choses que personne n’aurait imaginé ». Mike King était aujourd’hui président de Gamecorp, le principal adversaire de Neo Famicom. Ashley étira ses bras et craqua ses doigts, il lui restait une énorme charge de travail, officiel et surtout non officiel à abattre. Elle s’autorisa tout de même une pensée vagabonde. Son père avait eu la plus brillante des idées, aidé par Mike, il avait totalement verrouillé sa vie privée. On le croyait ermite et reclus dans une résidence immense sur une île, les quelques photos qui circulaient de lui ne permettaient aucune identification formelle. Il passait la majorité de ses ordres à distance et vivait en définitive, dans l’anonymat le plus absolu. Ashley avait bien entendu elle aussi bénéficié de cette immunité, un véritable privilège qui lui offrait toutes les chances possibles, une en particulier, qu’elle comptait bien saisir. Sa phase 2 à elle, venait aussi de démarrer.

7H59 et 55 Secondes

Nous avions convenu avec la bande et quelques autres, de nous retrouver au bar pour suivre tous ensemble, en direct, l’annonce des résultats. Nous allions enfin connaître le nom des 100 chanceux, ou pas, qui allaient concourir dans cette singulière compétition. On aurait dit que le monde s’était mis entre parenthèses, plus de guerres, plus de faits d’hiver, les médias ne couvraient plus que ce seul sujet et les conjectures allaient bon train, du soir au matin. La principale chaine d’information en continu avait désormais son émission consacrée aux jeux vidéo, avec bien entendu son lot de consultants aussi éloignés du genre que possible. Fred le barman monta le son du téléviseur d’ordinaire utilisé pour les retransmissions sportives. Le générique de l’émission, « Here I Go Again » de Whitesnake emplit la salle. La foule massée devant l’écran, d’ordinaire exubérante et braillarde, respectait un solennel silence de cathédrale.

– Bonjour à toutes et à tous, ravis de vous retrouver pour ce numéro spécial de BFGame consacré aujourd’hui au phénomène Neo Famicom. A mes côtés j’ai le plaisir d’accueillir Jean-Claude Renard, ancien joueur professionnel de babyfoot qui nous accompagnera tout au long de l’émission et bien évidemment les chroniqueurs habituels, Pedro le Geek, Anastasia la princesse de la manette, Cousin Hub l’as du clash et Remy sans famille depuis qu’il a poncé GTA VI. Avant de vous révéler en exclu la liste des 100, telle qu’on l’appelle aujourd’hui, une page de pub.
Fred s’échinait à servir le plus de clients possibles durant cette relative accalmie commerciale. Il tendit, in extremis, une dernière bière à un habitué à moitié juché sur le comptoir au moment de la reprise du programme, qui le remercia du regard, comme s’il s’agissait d’un acte de charité biblique.
– Bonjour à toutes et à tous, si vous nous rejoignez maintenant ! C’est le moment. L’instant de vérité. Nous allons vous révéler le nom des sélectionnés, peut-être pas tous mais au moins les plus intéressants. On commence avec la géniale Akane Hiro, pour le Japon, Championne de e-sport catégorie Moba. Anatoli Droubetskoï, l’infaillible Russe, invaincu à Fifa depuis 2018. Brad Jones le Sniper américain, redoutable aux jeux de combat. Melissa Granger, la spécialiste irlandaise des casses-têtes et des jeux de réflexion. On ne peut pas tous les citer, mais ce sont des pointures parmi les autres ténors des jeux en ligne. Un avis Jean-Claude ?
– La caractéristique commune, c’est le mental, je crois que bon, ils sont très forts et ce seront de sérieux prétendants au titre.
– Euh Jean-Claude, en fait il n’y a pas de titre, c’est une compétition pour s’offrir le graal des joueurs de salon.
– Oui effectivement, l’important c’est la motivation, la concentration et puis être capable de s’adapter.
– Merci Jean-Claude ! Anastasia, est-ce que tu veux annoncer le nom des célébrités qui vont faire partie de l’aventure ?
– Avec plaisir Boss, j’étais en train de suivre les réactions sur les réseaux. La toile est carrément en train de s’embraser : Pour la France, les rappeurs Bul, Douda, Lariss, l’animateur Cyril Taboula, la comédienne de charme Lise Capri, le couple star de la télé-réalité Ben & Jen. Dans les célébrités extravagantes, nous avons le performer transformiste néerlandais Big Fat Joe ainsi que Colin Treatwood 88 ans qui a notamment joué dans les Doyens de la Galaxie… Parmi les sportifs nous avons un champion de Sumo, de MMA, une Skateboardeuse pro, une Street artiste coréenne… C’est très varié ! et les communautés des stars sont déjà à fond derrière leurs championnes et champions !
– OK Anastasia. Quelques stats Rémy ?
– Pour résumer, nous avons en gros 20% de gamers, 20% de sportifs, 20% d’artistes, 20% de personnalités publiques, 20% de chanceux et 18 nationalités différentes, mais un seul, un seul, euh et ce n’est pas une blague, ni un troll je crois. Vous pouvez me confirmer Cousin Hub que c’est bien une vraie personne et pas un prank de Neo Famicom ?
– Aucun doute mec, la preuve en image …
Alors que je pensais reprendre le cours normal de mon existence, arriva ce que je croyais être le pire…
– Il est déguisé en quoi ? demanda Anastasia
– Je crois que c’est un costume de pom pom girl, mais avec la barbe et un casque de viking.. je ne suis pas bien sûr !
– En tout cas un grand bravo à mais non, c’est pas possible … Voltaire Legland, de Bordeaux, qui avait une chance sur plus de 300 millions d’être sélectionné !!!
– J’ai fait les calculs Boss, pour être précis, il avait 5 fois plus de possibilités de gagner le jackpot à l’euromillion que d’être choisi !
– Top Rémy, on va l’inviter dans la prochaine émission et en savoir un peu plus sur lui.
– Il aura son déguisement tu crois ?
Eclats de rire sur le plateau et dans le bar.
– En tout cas ça y est, les épreuves vont enfin pouvoir commencer.
– Jean-Claude, le mot de la fin ?
– Oui, je crois, que bon, c’est super et j’espère que ça va être un bon moment pour tout le monde.
– Merci Jean-Claude, vous revenez quand vous voulez ! quant à nous, on se retrouve demain pour une nouvelle émission, dans laquelle nous allons tout debriefer et vous saurez tout sur les épreuves qui attendent ces gladiateurs des temps modernes !
– J’aurai plutôt dit pom pom vikings
– A demain et bonne soirée !
La photo ne quittait pas l’écran malgré le générique de fin. J’étais tétanisé. Je sentais sur moi les regards lourds de me collègues, même Fred me fixait avec insistance. Des centaines de photos postées sur les réseaux et ils avaient trouvé celle-ci, prise lors d’un nouvel an et ce n’était même pas moi qui l’avait mise en ligne. J’étais juste tagué dessus. Je restais un instant concentré sur mon verre, mon téléphone ne cessait de vibrer. Je n’avais pas la force de regarder. Ma tête commençait à tourner. Léo me tapota doucement sur l’épaule.
– Quoi ?
Il me regardait comme si j’étais une authentique divinité.
– Je crois qu’il va te falloir un coach !
– Et une équipe. Tu vas jamais y arriver tout seul.
C’était Zaza, les autres semblaient tous d’accord.
– Ouais et on va s’appeler la pompom vikteam !
Après avoir découvert les autres participants et surtout cette photo, qui faisait probablement le tour de la planète, je trouvais le terme de victime parfaitement approprié…

Dans le même temps, au sein de Neo Famicom, l’équipe de Kendo redoublait d’efforts, à tel point que Monsieur Myagi en personne, descendit les saluer. Ils se levèrent tous respectueusement, à son passage. Kendo qui n’avait pas été prévenu, les présenta succinctement, faisant de son mieux pour ne pas bafouiller. Le maître des lieux eut un regard et un mot pour chacun. Ses yeux perçants fixèrent un peu plus intensément la jeune fille à l’origine du projet. Il s’en alla d’un pas rapide, Kendo affable, dans son sillon. Ashley sentit une vibration caractéristique dans sa poche, son téléphone portable personnel afficha le nom de l’interlocuteur, elle partit promptement s’enfermer dans une petite salle de visioconférence attenante à son bureau.

– Bonjour Ashley
– Bonjour papa
– Comment se déroulent les opérations ?
– Le plan est parfaitement respecté, aucune ombre au tableau
– Très bien, reste sur tes gardes et garde la tête froide
– Oui papa, je ne me laisse pas distraire
– A très bientôt
– Oui, très bientôt

Elle regagna tranquillement sa place et se remit au travail. Tout était prêt, même le chaos était sous contrôle.

7h59 et 56 secondes

La sortie du bar était mouvementée, passer en un instant de celui qu’on ne regarde pas à celui qu’on dévisage n’est pas aussi évident qu’on se l’imagine, heureusement la team faisait bloc pour m’exfiltrer au mieux. A peine étions nous dehors, qu’un SUV noir pila face à nous.
– Manquerait plus qu’une prise d’otages !
– Tais-toi Max, Léo, filme au cas où.
Zaza assumait pleinement son rôle de leader. Léo dégaina prestement son xiaomi pour capturer la scène. Les deux Mel m’encadraient, Franck et Max plus en retrait se tenaient tout de même prêts à bondir.
Un modèle réduit de femme ouvrit la portière arrière et descendit du véhicule pour s’approcher de nous, son visage était pétillant. Elle se retenait visiblement de rire.
– Voltaire, vous êtes drôlement bien protégé ! Rassurez-vous nous faisons partie des relations presses de Neo Famicom et nous souhaiterions nous entretenir dès maintenant avec vous, le temps presse avant la première épreuve et nous devons valider ensemble plusieurs aspects juridiques, le droit à l’image, diverses formalités administratives mais ça ne devrait pas prendre plus d’une heure ou deux. Si vous voulez bien me suivre ?
Je consultais du regard mes partenaires.
– On pourrait se retrouver chez toi ? Donne-nous tes clés.
Je devais faire une drôle de tête parce que Mel C cru bon d’ajouter avec un air mutin,
– j’ai l’habitude des apparts de célibataires, on fermera les yeux si on tombe sur des trucs chelou.
Je ne sautais pas de joie à l’idée de laisser la bande envahir mon espace vital mais je n’avais clairement pas le choix.
Neo Famicom n’ayant pas d’antenne à Bordeaux, ils avaient loué un château reconverti pour l’occasion en une sorte de airbnb coworking. La jeune femme à la frimousse espiègle, profita du trajet pour se présenter.
– Je suis désolée Voltaire de cette entrée rocambolesque, mais nous ne pouvions pas vous laisser répondre aux sollicitations des médias ou autres avant d’avoir pu échanger avec vous. Je me prénomme Alice, je travaille pour Neo Famicom depuis 2 ans et je dois vous avouer que c’est la première fois que je suis impliquée dans un projet de cette envergure. Je serai en quelque sorte votre nounou pendant toute l’aventure.
Ah merde, Zaza allait faire la gueule.
– Ben, merci beaucoup, je ne sais pas trop ce qu’il m’arrive, j’ai même pas regardé mon portable pour l’instant, j’avoue que je me suis un peu inscrit sans y réfléchir et je ne suis pas non plus un fou furieux des jeux vidéo, bref, maintenant que le train est lancé…
– Ne t’inquiète pas Voltaire, tu permets que je te tutoies ? ce sera plus simple. Mon rôle, c’est de te simplifier la vie. Si tu veux, on regardera ensemble ton téléphone, il y a quelques pièges à éviter. Tu veux une coupe de champagne ?
Le SUV était équipé d’un mini frigo et Alice avait déjà rempli le verre, pourquoi s’opposer ? Après tout c’était mon but, sortir de la routine, de cette vie monotone et austère.
– Avec grand plaisir !
Elle m’offrît un sourire radieux, tout en me tendant le calice. Je commençais presque à oublier cette histoire de photo, de concours et à me laisser bercer par ces inédites attentions à mon égard. Mon intuition essayait de me prévenir que c’était certainement le calme avant la tempête, mais ce n’était pas le moment de se ronger les sangs. La voiture ralentissait, nous étions presque arrivés au QG bordelais de Neo Famicom et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils n’avaient pas lésiné sur les moyens ! Un véritable petit palais se dressait devant nous. Magnifique écrin pour dominants. Malgré moi, j’étais émerveillé. Il eut été plus judicieux de garder le contrôle, mais après une vie d’asservissement et de seconds rôles, le plaisir d’être au centre de l’attention avait pris le pas. Je n’avais jamais rien gagné dans mon existence, tout ce que j’avais obtenu, même les maigres récompenses, s’étaient obtenues d’elles mêmes. Je voulais savourer chaque instant de ce quart d’heure de gloire, même si je n’étais pas dupe, tout ça n’était que de la poudre aux yeux. Le chauffeur nous déposa devant le perron. Alice me précéda pour ouvrir la grande porte ornementée. A l’intérieur, le faste rivalisait avec l’élégance. Alice, généreuse, me laissa quelques instants de contemplation. Mais bon, soyons lucides, à quoi bon brusquer la bête, si on veut en tirer le meilleur lait… Comprenant ma fascination pour l’édifice, la chargée des relations presses joua le rôle d’agent immo et m’entraîna de pièces en pièces, m’expliquant l’histoire et la symbolique des lieux, avant de finir en beauté par l’immense salon totalement anachronisé par les équipes de la puissante firme. Les fils électriques jonchaient le sol de part en part, donnant vie à des ordinateurs dotés d’écrans incurvés et surdimensionnés. La concentration de leurs dix hôtes humanoïdes semblait extrême et j’étais partagé entre admiration et consternation. Alice brisa le relatif silence, sa voix parvenant difficilement à couvrir l’intense bourdonnement provoqué par les équipements digitaux.
– Je ne vous présente pas Voltaire, vous savez déjà pratiquement tout de lui, mais lui en revanche à bien besoin d’en savoir plus sur sa bande de minions ! En gros, Romane, Lena, Théo s’occupent du community management, e-réputation, communication. Steph, Julien, Loïc de stratégie et des statistiques. Mickey, Stella, Chloé, Mounia, image et presse. Pour ma part, je coordonne et je gère l’intendance. Avant toute chose, voici les documents que tu dois signer et parapher.
Alice avait peut-être minoré le temps que prendrait cette opération. Il devait y avoir des centaines de pages !
– Voltaire, pendant que tu t’occupes de la paperasse, est-ce que tu pourrais me confier ton téléphone ? Stella va s’occuper de traiter les demandes et répondre à tes messages.
– C’est pas un peu privé quand même ?
– A partir de maintenant, plus rien n’est privé et je ne vais pas jeter un pavé dans la mare, mais ce n’était déjà pas le cas avant. Avec cette nouvelle notoriété, tu viens de franchir la frontière ultime, celle qui sépare l’ordinaire de l’exceptionnel. Tes amis, proches, même ceux qui t’avaient totalement oublié, vont dorénavant t’envisager comme une personnalité.  Quelqu’un de différent, de privilégié et ce seront les plus critiques à ton égard. Soit humble et ils diront que tu es condescendant, soit fier de toi et ils diront que tu as pris la grosse tête. Tes paroles et tes actes vont être jugés, scannés, passés au crible de leur jalousie. Tu en feras rapidement l’expérience, si tu préfères rentrer chez toi ce soir, avec ta petite bande. Analyse leur attitude, leur manière de s’adresser à toi … Nous t’avons préparé une chambre ici. Tu seras cocooné et cela t’évitera des mauvaises rencontres, celles qui hier te trouvaient quelconque et te rejetaient, qui aujourd’hui rêvent que tu les embrasses en public… Cela va durer un mois au plus si tu te qualifies jusqu’à la finale, mais dans tous les cas il te faudra choisir ensuite entre rester dans cet univers car tu seras sollicité peu importe ton classement, ou repartir dans les limbes. En attendant notre mission c’est de faire de toi un gagnant potentiel.
– Je comprends et j’accepte, cela ne sert à rien de prétendre que ce n’est pas vrai. Alors, autant vivre l’expérience le plus intensément possible. Guy Debord a dit : « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ».
– Tu arrives à citer Guy Debord ? Surprenant !
– Il y a quand même quelques facettes de ma personnalité qui m’appartiennent encore un peu et qui ne sont pas en ligne …
Alice était légèrement déstabilisée. Sa peur panique était de gérer une bombe à retardement, malgré toutes les précautions qui avaient été prises. Voltaire ne possédait pas les codes selon elle. C’était juste un être bassement normal extrait de sa caste à la faveur d’un algorithme. Ses pensées contredisaient parfaitement son discours, mais elle préférait se fier à cette rassurante apparence plutôt que de le percevoir autrement. Il fallait en faire un gentil toutou qui retournerait bien sagement à sa vie de merde après la première épreuve. Elle était convaincue qu’il ne s’en sortirait pas.
Voltaire se doutait bien de ce qui se passait dans la tête de l’employée de Neo Famicom malgré les sourires. Elle le prenait clairement pour un con et un faible. Son esprit était configuré ainsi, les riches et puissants d’un côté, la plèbe de l’autre. Elle était persuadée d’avoir raison, de savoir et quoi qu’il fasse ou dise, rien n’aurait pu la convaincre de changer de point de vue. Perdu pour perdu, le mieux était d’essayer de donner le change au maximum.
– Alice, est-ce que tu peux prévenir mes amis que je ne rentrerais pas et aussi m’amener des affaires ?
– Euh oui, pas de soucis, c’est une bonne idée.
– Alors ce téléphone, ça donne quoi ?
– Stella ?
– Pour commencer, j’ai répondu gentiment à une cinquantaine de sms de personnes qui se sont rappelé subitement qu’ils avaient des liens d’amitié avec toi. Il y en a un en revanche, que je trouve vraiment intéressant et qui pourrait nous donner un coup de pouce. Un certain Léo, il a court-circuité Mickey en contactant des associations de pom pom girls offusquées par les moqueries dont elles ont été victimes après la diffusion de ta photo. Résultat, plus aucune occurence. La photo a été supprimée des réseaux et ne sera plus mentionnée nulle part. Sinon, comme prévu la prod de BFGame est au taquet pour l’émission de demain. Skyrock, RMC, NRJ, W9, Brain, Konbini, Jeuxvideo.com, bref la totale. On travaille sur les fiches. Pour les réseaux, tu m’arrêtes si je me trompe Romane, mais on a gagné plus de 250 000 followers en moyenne. On est en train de mettre à jour tous tes profils. Quelques nudes intéressants, certains vrais d’ailleurs. Je te les laisse au cas où. Des menaces de mort, des haters, des soutiens aussi, on va les diffuser massivement.
– Nickel Stella ! Julien on parle stratégie ?
– Alice, nous sommes Day One. Il est 2h00 du matin. La première épreuve est prévue dans cinq jours. Il s’agira d’un affrontement sur un simulateur de comportements. Chaque décision aura son incidence, mais ce sera le public qui sera le seul juge. La bienveillance ne sera pas forcément la meilleure option. Pour l’instant Voltaire est identifié comme un gentil garçon, l’invité surprise. C’est notre plus grande force. L’imprévisibilité.
– C’est clair. Merci. Je propose qu’on aille se coucher. On rattaque demain à 8h00. Prenez des forces.
– Stella, est-ce que je peux récupérer mon téléphone ?
– Oui bien sûr ! Tiens…
– Merci Stella, merci à tous, nous n’avons pas encore eu l’occasion de parler ensemble, j’espère qu’on pourra mieux se connaître. En tout cas je ne pouvais pas être mieux entouré !
Alice et son équipe me jetèrent à peine un regard, je n’étais pas plus qu’un vulgaire produit dont l’obsolescence était programmée. Inutile d’insister. Chacun se retira dans ses appartements. On m’avait donné la meilleure chambre, au deuxième étage. Comme par magie, mes vêtements étaient déjà soigneusement rangés dans l’armoire. Les affaires de toilette dans la salle de bain attenante. Le lit King Size m’appelait comme une promise et je ne résistais pas à ses faveurs. Je m’endormis d’un sommeil profond et réparateur.

7h59 et 57 secondes

Kendo toisait Ashley. Il commençait à s’impatienter et éprouvait de plus en plus de difficultés à masquer son mépris envers l’américaine. Le manager avait, de surcroit, désespérément besoin d’elle. Il était temps qu’elle lui détaille les épreuves. Myagi pouvait à tout moment l’interroger et il ne connaissait que la globalité du projet. L’homme d’affaires comprendrait alors qu’il n’était qu’un passe plat, un lien superflu entre la réflexion et l’action. Cette position le rendait nerveux. Il piocha dans ses dernières réserves pour lui soutirer les informations qu’il jugeait importantes avec tout le tact et la diplomatie dont il pouvait faire preuve. Consciente du rapport de force en sa faveur, elle attendait patiemment que Kendo prenne la parole.
– Alors Ashley, tout à l’air de se passer comme prévu ? Où en sommes-nous précisément ? dit-il d’une voix aux intonations qui se voulaient légères et enjouées.
– Le simulateur de comportements est fin prêt. Les derniers bugs corrigés. Les règles de la première épreuve sont très simples. Il s’agit de matchs en un contre un. Le premier concurrent qui remplit pendant trois minutes consécutives la jauge des suffrages remporte la partie. Tout repose sur l’intuition, l’instinct de survie des joueurs mais surtout sur le choix du public. Nous allons annoncer les oppositions d’ici une heure, les médias du monde entier vont se régaler. L’épreuve est online, donc les participants peuvent choisir librement leur lieu de joute : Depuis chez eux, un espace public, un magasin Highstore… tout est possible et bien sûr, l’algorithme en tiendra compte. Après cet écrémage, la deuxième manche sera beaucoup plus intense, elle va soulever les foules, un affrontement par équipe, en réalité virtuelle. Pour aller en finale, les participants devront se constituer en teams de 10, ils pourront, durant la partie, changer d’équipe. Le terrain sera délimité par 4 zones à atteindre, dès que 5 coéquipiers seront dans l’enclos, celle-ci deviendra inaccessible pour quiconque, sauf si un membre, ou toute l’équipe décide d’éjecter l’un des leurs… à ce moment là, la zone sera de nouveau ouverte… on prévoit de multiples rebondissements jusqu’au coup de siffler final ! Et enfin la dernière épreuve. Les 20 finalistes seront réunis devant le shop partenaire transformé en parcours du combattant pour l’occasion. Nous n’encourageons bien entendu aucune violence mais à la fin, ils ne seront que 5 à repartir avec la console…
Kendo était extatique, ce qu’il venait d’entendre le comblait au plus haut point, le public, les médias, les actionnaires, ils allaient tous lui bouffer dans la main, le reconnaitre enfin à sa juste valeur. Myagi lui même se prosternerait à ses pieds. Perdu dans ses rêves de grandeur, il n’accordait plus aucune importance à Ashley. C’était ce qu’elle voulait. Sa phase 2 était terminée. Le vers parfaitement implanté dans le fruit. Elle comptait maintenant sur la folie des hommes pour parvenir à son but. Mike et son père l’avaient chargée de mettre fin à la suprématie de Neo Famicom. Elle savait que ce concours finirait dans le sang. Les pertes seraient lourdes de conséquences et l’entreprise n’aurait aucune chance de s’en remettre. Tout n’était qu’une question de timing. Les négociations entre Neo Famicom et Highstore étaient quasiment finalisées. L’entreprise japonaise allait acquérir pour quasiment 3 fois sa valeur réelle, la chaîne de magasins. Ils n’avaient absolument pas conscience de ce qui allait se passer. Mike était un fin stratège, son positionnement était clair, faire des jeux pour la famille, entre amis, un peu de frisson, un peu d’action, mais toujours dans la limite du raisonnable. A contrario, les japonais en voulaient toujours plus. Leur mainmise sur le secteur les avaient rendus arrogants et méprisants. L’excès de pouvoir en avait fait des démiurges qui ne se souciaient plus de rien, si ce n’est d’être toujours plus gros, plus imposants. Ils étaient victime du syndrome du dictateur. L’Amérique n’était plus ce qu’elle était aux yeux du monde. Un colosse aux pieds d’argile qui avait perdu son statut de sauveur, de maître à penser des nations. La partie qui se jouait allait bien au delà d’une simple guerre économique, quand tout serait fini, Gamecorp se révèlerait à la planète tel un bon pasteur venu ramener les brebis égarées dans l’enclos et son père pourrait se présenter aux élections présidentielles, dans les meilleures dispositions.

Loin de ces considérations à Bordeaux, Voltaire se réveillait paisiblement. Il prenait son temps, se refusait à quitter aussi facilement ce gigantesque lit en tous points parfait qui lui avait permis de passer une nuit judicieusement réparatrice. Il avait rêvé de C., mais le songe ne lui revenait pas en mémoire. Voltaire profita de ce moment de relative solitude pour examiner son téléphone. Stella avait fait un sacré boulot ! Il n’aurait pas pu mieux répondre aux différentes sollicitations, messages, encouragements etc. reçus en un laps de temps record, d’ailleurs elle en aurait d’autres à traiter aujourd’hui, ça recommençait à s’agiter, manifestement les réseaux ne dormaient jamais. Par acquis de conscience et uniquement dans ce but, il jeta un œil sur les fameuses photos mentionnées par sa conseillère en image. Effectivement, certaines personnes n’avaient ni froid aux yeux ni ailleurs … Voltaire n’était pour l’instant que sélectionné pour la compétition et il n’osait pas imaginer ce qu’ils et elles seraient capables de faire en cas de qualification. Il tenta de décoder les mots de Julien : simulateur de comportement et la bienveillance qui ne serait pas toujours la meilleure option … Il en déduisait qu’il devrait se montrer intuitif et ne choisir que l’option qui lui permettrait de s’en sortir sans trop de dégâts. Après tout, n’était-ce pas déjà ce qu’il était en train de faire ? Il prit sa douche, s’habilla et descendit dans le grand salon. L’équipe était connectée et visiblement très excitée, personne ne remarqua sa présence. Il y avait un buffet derrière eux avec des viennoiseries, du café, du thé, du jus d’orange, Voltaire alla se servir sans se manifester. Un des écrans diffusait la chaine partenaire de Neo Famicom. Le tirage au sort venait de commencer et il n’y eu ni suspens, ni angoisse. Steph tapa dans ses mains.
– Putain, c’est Melissa, on n’est pas dans la merde…
Alice se racla la gorge et fit un signe de la tête pour signifier aux autres, pas de conneries il est là.
– Bonjour Voltaire !
La team daigna enfin se retourner et encore pas tous. Voltaire tenait la moitié d’un croissant dans sa main. Il essayait de garder son self control.
– Salut Alice, salut à tous, alors Steph pourquoi autant d’enthousiasme ?
Steph attendait qu’Alice lui donne un go. Voltaire explosa.
– Bon, je crois qu’on a un léger soucis ici. J’en ai rien à foutre de vous, pour moi vous n’êtes que des petits cons de geeks bobos qui n’arrivent pas à comprendre que si vous êtes ici, c’est parce que je suis là. Alors oui peut-être que je suis nul, ou pas vous n’en n’avez aucune idée pour l’instant. En revanche, votre job c’est de m’accompagner au mieux. C’est ça ? Alors faites-le et arrêtez de me regarder de biais, sinon c’est simple dès que je rencontre les mecs de chez Neo Famicom je leur explique que vous êtes des connards inutiles. Donc maintenant je veux savoir qui est cette Melissa et vous allez aussi faire venir Léo. Stella, prends mon téléphone.
Un silence gênant s’installait. Alice se racla la gorge.
– OK Voltaire, merci, je pense qu’on a compris. Steph, les infos sur Melissa.
– Melissa Granger, e-sportive professionnelle, sa spécialité c’est les jeux de réflexion, puzzles, casse-tête. Elle a mis 20 minutes pour terminer Notpron, le jeu le plus dur au monde. Cependant il y a un autre aspect en notre faveur qu’il ne faut pas sous estimer. Loïc ?
– Elle a plus d’un million de followers, mais une côte de popularité très faible, le public l’assimile à une tête à claque, parfaite, première de la classe… Ils ne voteront pas spontanément pour elle, même si les sites de pari en ligne la donne largement favorite.
Lena leva timidement la main
– Voltaire, tu as rendez-vous dans les locaux de BFGame à 18h00, de cette première interview découlera toutes les autres. On attaque le training à 10h00 si tu es ok et la styliste viendra t’apporter une sélection de vêtements.
– Super, merci !
Léo arriva à ce moment là. Voltaire avait rarement été aussi content de le voir. Une présence amicale n’était pas de trop dans cette maison. Le timide garçon scannait de son regard perçant les lieux et surtout les personnes. Il n’accordait pas beaucoup de crédits aux employés de Neo Famicom et se méfiait d’autant plus d’Alice, trop souriante, trop affable et qui sentait la fourberie à plein nez.
– Bonjour Léo, nous sommes ravis de t’intégrer dans la team, je ne te les présente pas, j’imagine que tu as fait ton travail de recherches et que tu as déjà quelques idées pour préparer au mieux ce premier round ?
Léo ne voulait surtout pas abattre toutes ses cartes, mais il devait quand même apporter la preuve de son utilité.
– Oui effectivement. Ca tombe bien en plus, j’avais quelques jours de congés à solder, je vais pouvoir être présent durant toute la compétition. En ce qui concerne Melissa, elle sera une redoutable adversaire parce qu’elle calcule vite et a l’avantage de faire du e-sport sur tous types de consoles ou d’ordinateurs. Du coup, elle maitrisera le simulateur en un rien de temps. D’un autre côté, sa plus grande faille sera justement son esprit logique et formaté. Elle va raisonner comme si c’était un jeu et choisir systématiquement la solution la plus pragmatique, mais qui ne sera pas forcément la plus humaine. Ca pourrait se retourner contre elle. Au fait Voltaire, avant que j’oublie, C. te souhaite bonne chance !
L’analyse de Léo était très pertinente et l’équipe commençait à le prendre au sérieux. Voltaire pour sa part était passablement troublé, C. était en quelque sorte l’élu de son coeur, il l’avait baptisée C. pour celle dont on ne doit prononcer le nom, parce que dans ses nombreux moments éthyliques il le répétait en boucle comme un mantra. Il devait rester focus sur son objectif, après tout, il était là pour une bonne raison. Il pouvait gagner, sa nouvelle philosophie était « winner takes all » et il comptait bien la mettre en pratique.
Le training de Lena se passait en conditions de plateau télé. Elle lui posait et reposait les mêmes questions et il devait y répondre le plus naturellement possible, sans fioritures, même si au final c’était du par coeur. Les questions allaient de : ton jeu préféré, à quelle sera ta stratégie, est-ce que tu te rends compte de la chance que tu as, qu’est ce que tu ferais si tu faisais partie des vainqueurs… bref, pas de quoi être trop déstabilisé à priori. La styliste pour sa part préconisait un style streetwear sobre. Baskets Veja, pantalon chino Uniqlo, pull gris off white avec inscriptions, no pain – no gain, barbe taillée 2 jours. Là aussi Voltaire pourrais sans problème s’adapter. La journée passa en un clin d’oeil, entre training, coaching, revue de presse…
– Bonsoir à toutes et à tous, ravis de vous retrouver pour BFGame, l’émission entièrement consacrée au gaming. Avec moi, Pedro le Geek, Anastasia, Cousin Hub et Remy. Nous avons le plaisir d’accueillir sur le plateau Voltaire Legland pour sa première apparition à la télé.
– Ca va Voltaire, pas trop stressé ?
– Non, non ça va
– Ok, à part ta passion pour les uniformes de majorettes, tu peux te présenter en quelques mots ?
– Voltaire, 44 ans, je travaille dans le secteur du btp au service support, j’en profite pour saluer mes collègues et maintenant que je fais partie de cette aventure, je compte bien défendre toutes mes chances avec le soutien du public !
– Voltaire, c’est pas banal comme prénom
– Hub c’est pas fréquent non plus, mais ça va t’as l’air de gérer quand même
Voltaire ne comptait se laisser faire, la clé pour augmenter sa côte de popularité était justement de rendre coup pour coup avec un peu de rabe si nécessaire.
– T’as quand même 3% de chances de battre Melissa, ça te fait flipper ?
– Rémy, les statistiques ne sont pas toujours fiables et d’après ce que j’ai pu voir sur les réseaux, Melissa, qui bien sûr est la favorite, déclare partout qu’elle a gagné avant même de m’avoir affronté. Perso, je trouve qu’elle manque un peu d’humilité et puis on est français, l’épreuve finale se passe en France, j’espère qu’on va tous être un peu chauvin et montrer qui on est !
– Ah oui oui, c’est vrai ça, d’ailleurs puisque tu en parles, le président a adressé un message de soutien aux concurrents français sur Linkedin.
– Anastasia, c’est cool de sa part. Je ne fais pas de politique. Les autres sont des stars, super connues, qui vivent pour la plupart à Dubaï ou à Miami, moi je suis juste un gars de la street et je vais me battre pour moi mais aussi pour tous les joueurs, au sud, à l’est, à l’ouest, au nord du pays. On est la grande famille des anonymes.
Léo lui avait soufflé en aparté de se positionner en prolo, en Poulidor, cette fois prêt à faire une échappée victorieuse.
– J’avoue, c’est un beau message pour tous nos spectateurs ! On te souhaite bonne chance Voltaire et crois moi toute l’équipe sera derrière toi Jeudi soir à 21h00 pour la retransmission en direct de la première épreuve !
– Merci à toutes et à tous, merci également à Alice et sa team, Léo pour ses précieux conseils, Zaza et la bande, Fred au bar, et C. que j’embrasse très fort.
– Super Voltaire, c’était top !
Générique de fin.
Sur le plateau, Voltaire sentait que l’ambiance était différente à son égard. Plus respectueuse. Il avait réussit à la fois à s’imposer auprès des médias et à faire passer un message de ralliement. Il commençait enfin à croire en ses chances. De retour au QG, Alice et les autres ne tarissaient pas d’éloges sur sa prestation. Seul Léo faisait le job, lui rappelant constamment que le public était versatile et surtout que rien n’était jamais acquis…

Enfin le grand jour.

Tout était prêt. Il était prêt. Voltaire n’aurait pas de regrets. Il avait choisi de se rendre dans le Highstore du centre-ville. Les caméras de BFGame le suivaient depuis le début de la matinée, de même que Unigame, diffuseur officiel de la compétition et propriété de Neo Famicom. Il en était d’ailleurs de même pour l’enseigne, qui appartenait désormais à la puissante multinationale. Voltaire précédé de Leo et Alice, pénétra les lieux. Une estrade trônait au centre du magasin, surplombée par un écran télé de 80 pouces. Des caméras tout autour.

Faire le vide. Se concentrer et tout donner.

Voltaire s’installa. L’interface BESI pour (Behavior simulator) se chargea en moins de 5 secondes sur la XT5 Alpha +, la manette était vraiment agréable en main. L’environnement ressemblait à GTA, l’écran n’était pas partagé ce qui signifiait qu’il croiserait probablement Melissa au cours du jeu. Son avatar était parfaitement reproduit à la différence qu’il courrait beaucoup plus vite que lui ! Le temps s’écoulait en haut à droite de l’écran. Sa jauge de popularité était pour l’instant à 15%. Il avançait dans une reproduction de la ville de Bordeaux, mais il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire. Voltaire étudiait les lieux, mais continuait d’avancer. Il ouvrit son inventaire pour checker les éventuelles ressources mises à sa disposition. Il y avait notamment une carte créditée de 100 euros, une canette de redbull, un sandwich Subway, une matraque, un pistolet + 50 cartouches, un téléphone portable… Il se saisit du smartphone qui pouvait, selon lui, contenir des informations. La jauge passa à 20%.
3 SMS :
 » Voltaire, j’ai besoin d’aide ! je me suis réfugiée dans le HighStore, une horde de zombies est à l’extérieur et j’ai vidé mon chargeur ! Help.  » Melissa
Tips 1 : Bonjour Voltaire, n’oubliez pas, si vous mourrez, votre jauge de popularité repartira à 0% Bonne chance ! 🙂
Tips 2 : Besoin d’aide ? RDV Place des Quinconces
Les options étaient claires : Soit il laissait Melissa crever, le public ne serait pas forcément hostile mais il passerait pour un lâche. Soit il allait aux Quinconces chercher de l’aide mais dans ce cas, il passerait pour un faible, incapable de se débrouiller seul.
– OK Melissa j’arrive !
Côte de popularité 35%
Voltaire réfléchissait à la meilleure tactique possible. Le magasin était situé dans une rue piétonne et il ne savait pas si enfreindre des règles comme utiliser une voiture dans cette zone n’occasionnerait pas de pénalités. Le mieux était de faire au plus simple. Il posa la carte de crédits sur une borne pour prendre une trottinette électrique. Il voulait d’abord repérer les abords avant de jouer les héros.
Cote de popularité 43%
Melissa avait parlé d’une horde… c’était bien pire que ça ! ils étaient au moins 2500 morts-vivants agglutinés contre la façade du store. Un énorme grognement retentit derrière Voltaire. On aurait dit le chien de Stephen King, Cujo, monstrueux et particulièrement agressif. Voltaire hésitait. Le molosse ne bougeait pas. Sortir son flingue était le meilleur moyen de se mettre à dos les défenseurs des animaux. Le simulateur vocal s’activa, il avait choisit de s’adresser directement à la bête. Elle continuait de grogner et de montrer ses larges crocs. Prête à bondir. Il savait qu’il était risqué de courir ou d’utiliser la trottinette. Il ne fallait surtout pas lui tourner le dos. Il avançait doucement vers elle, essayant d’être le plus calme possible, la main tendue, paume en l’air et il se souvint du sandwich dans l’inventaire. Voltaire le fit apparaître et le tendis délicatement à l’animal qui s’en saisit et se transforma instantanément en un charmant toutou, imposant mais docile. Il avait le sentiment d’avoir réussi une première mission et se sentait un peu plus confiant, mais rien n’était gagné pour l’instant.
Côte de popularité 75%
Voltaire souffla, il réalisait que dans ce jeu, il n’y aurait pas de deuxième chance. Le public n’avait plus de patience ou d’empathie. Il fallait s’adapter. Ne pas agir ni penser comme il le ferait naturellement, mais choisir l’option qui plaira le plus à la majorité, combien même cette majorité serait ignorante et bornée. Il se rappela que dans les films de zombies les animaux étaient épargnés, une question de cerveau. Il connaissait pour sa part bon nombre de chats et de chiens plus intelligents que des humains, mais telle n’était pas la question.
Il arracha une page du carnet de notes présent dans son inventaire et rédigea un message à l’attention de ceux qui étaient censés apporter de l’aide et qui se situaient sur la grande place de la capitale girondine.
– Allez mon chien, vas-y !
Comme espéré, l’animal s’exécuta sans manifester le moindre doute sur ce qu’il devait accomplir.
Côte de popularité 80%
Il ne savait pas où en était Melissa. Peut-être que tout ceci n’était qu’un piège, mais il vivait l’aventure à fond et ne regrettait pas ses décisions, pour l’instant. Son idée était assez simple mais réalisable, escalader les toits pour parvenir jusqu’au magasin. Il avait juste surestimé les capacités physiques de son avatar, supérieures aux siennes mais pas non plus exceptionnelles. Il glissa et manqua de tomber. L’immeuble faisait 3 étages. Il arriva tout de même jusqu’au premier balcon, mais le personnage avait perdu beaucoup de santé. Il n’avait plus à manger. Que pouvait-il faire ? La boisson énergétique ! Il bu jusqu’à la dernière goutte de la canette, qu’il jeta dans la poubelle située en bas de l’immeuble et sur son écran s’afficha en énormes caractères clignotants : Bonus Stamina 50 secondes. Toutes ses forces étaient revenues et bien plus encore ! Il pouvait faire des sauts gigantesques, son personnage était beaucoup plus puissant et rapide. Il fallait tout de même rester prudent. La chute au lieu d’être douloureuse pouvait s’avérer mortelle. Sans réfléchir, le Voltaire digital et boosté reprit son ascension. Il bondissait à travers les immeubles à la vitesse de l’éclair. Plus que quelques mètres encore et 10 secondes de power up. Il y était presque.
Côte de popularité 87%
Il arriva enfin sur le toit du Highstore. Melissa l’attendait, calme, placide, le pistolet dans la main, prête à lui tirer dessus.
– Tu en as mis du temps ! J’en ai profité pour faire quelques quêtes annexes plutôt amusantes.
– Tout va bien ?
– Pour moi oui, mais malheureusement je crois que ton aventure s’achève maintenant.
Elle tira. Il restait une seconde de bonus d’énergie, Voltaire effectua une glissade pour éviter le tir et se cacha derrière une conduite d’évacuation.
– Il me reste 5 balles et tu ne vas pas pouvoir rester caché bien longtemps, allez dépêche-toi, je dois préparer mes interviews et réfléchir à la prochaine épreuve !
Soudain un énorme vacarme se fit entendre. L’aide promise arriva et massacrait les zombies. Ils étaient tous là, les personnages les plus emblématiques du jeu vidéo : le plombier, le hérisson, le karatéka, le smiley jaune et toutes les nouvelles idoles des geeks, surarmées et bien décidés à ne faire aucun prisonniers.
Côte de popularité 100%
Il était à découvert, Melissa tira une nouvelle balle.
5, 4, 3, 2, 1
Son avatar s’effondra. Elle avait tiré dans le ventre, il trouva dans son inventaire une trousse de soin.
Melissa s’approcha du Voltaire pixelisé pour l’achever, à bout portant.
Sa côte de popularité affichait toujours 100%
Il ferma les yeux. Elle pressa la détente. Clic. Clic. Clic. Elle vidait son chargeur mais aucune balle ne s’en échappait, c’était trop tard. La partie était finie. Voltaire avait gagné.
A l’écran on pouvait lire, WINNER : VOLTAIRE LEGLAND
Il lâcha la manette. Ses mains tremblaient encore. Le silence emplit la pièce et très rapidement des salves d’applaudissements et de cris de joie. Il était tellement concentré qu’il n’avait pas vu le magasin se remplir. Il n’avait jamais ressenti une telle sensation. Il l’avait fait. Gagner. Il se laissa submerger par l’émotion.

A la frénésie de l’instant, succédait désormais l’attente de la prochaine épreuve. Tous les favoris, à l’exception de Mélissa s’étaient qualifiés. Voltaire s’efforçait de ne pas succomber aux charmes de la gloriole. L’équipe d’Alice lui accordait dorénavant une attention constante et des regards énamourés. A leurs côtés, Léo faisait figure d’empêcheur de kiffer en rond. Il avait raison. Grâce à ses contacts dans les milieux interlopes de la grande toile, il avait appris que la deuxième épreuve serait, selon toutes vraisemblances, une baston en réalité virtuelle. Il n’y aurait, a priori, pas de votes du public, ce qui l’inquiétait beaucoup plus maintenant qu’il était considéré comme un outsider sérieux. Alice, dans un excès de zèle, s’était procuré le nec plus ultra du matériel de VR. Léo s’était cependant montré intransigeant sur ce sujet, Voltaire devait s’entraîner avec un équipement tout public et une connexion internet médiocre. C’était le meilleur moyen de ne pas être pris au dépourvu en cas de défaillance technique, ce qui d’après ses calculs avait, a minima, 48% de chances d’arriver. Critère d’autant plus critique que Voltaire souffrait du mal des transports équipé du casque VR et qu’il détestait être confiné dans cet ersatz de réalité. Selon les projections des statisticiens maison, Voltaire pourrait tenir 2:00 max avant de faire une syncope, ou moindre mal, d’avoir un voile blanc devant les yeux. Il n’était clairement pas en position favorable…

7h59 et 58 secondes

Pour la plupart de nos protagonistes, le ciel était bleu azur. Kendo auréolé de ses derniers succès ne touchait plus le sol, le comité exécutif de Neo Famicom le conviait lors des réunions stratégiques, il déjeunait avec eux dans le restaurant réservé aux grands dirigeants de l’entreprise. Ashley se satisfaisait de la vente de Highstore, et même si sa mission n’était pas encore achevée, elle contrôlait la situation. Les médias se régalaient et faisaient monter la pression. Le public était aux anges, comme lors d’une coupe du monde de football. Seul Voltaire se désespérait de ne pas maitriser correctement la technologie VR, malgré les encouragements de sa team et même de C. qui se rapprochait de plus en plus. Comme l’avait prédit Alice, il changeait de statut, sa vision de la vie évoluait, des opportunités insoupçonnées jusqu’alors insoupçonnées s’ouvraient à lui, aussi bien professionnelles que personnelles. Il nourrissait de nouvelles ambitions. Léo le tira violemment de sa rêverie. BFGame allait révéler en exclusivité les informations sur la deuxième manche. Voltaire ferma les yeux et récita une prière improvisée dans sa tête. Générique.