Affalé sur le canapé, une part de moi essaie désespérément d’échapper au programme télévisé qui défile devant mes yeux hagards. Mais mes doigts restent figés sur la télécommande. Mon cerveau curieux et voyeur s’accroche à l’idée de comprendre ce qui se passe à l’écran, faisant fi de mon aversion revendiquée pour ce type d’émission. L’heure n’est pas encore à la remise en question, mais il me semble que j’y trouve un certain plaisir coupable, comme lorsque la radio, que je n’écoute jamais, abstraction faite de FIP, NOVA, OUÏ FM, diffuse un « tube » et que je change pas la fréquence, ou lorsqu’au lieu de taper Le Monde ou Courrier International ou les plus sérieux et fiables Konbini ou Inrocks dans la barre de recherche, je me retrouve sur un agrégateur de News qui me renvoie sur Public, Closer ou Gala, piégé par un titre que j’abhorre au premier abord…

Inutile d’essayer de me trouver des circonstances atténuantes, cette situation ne peut pas vous arriver, vous êtes au dessus de la mêlée, vous n’êtes pas comme tout le monde, vous êtes unique, différent.e, la preuve réside dans vos photos Instagram si originales, vos partages Facebook tellement pertinents, vos séries préférées sur Netflix découvertes à n’en pas douter avant tout le monde, votre goût pour la nourriture Vegan, vos préoccupations à l’égard du monde, votre cigarette électronique… tout ça démontre bien que vous êtes quelqu’un d’authentique et non pas un.e vulgaire clone…

Plan large sur la baraque. Une maison d’archi, piscine extérieur, quelques palmiers façon Miami Beach. La voix off est catégorique, c’est la maison idéale pour nos protagonistes. Justement l’image se resserre sur un petit couple d’hypothétiques BCBG. Ils sont neutres, fades, hautains. La femme porte un foulard autour du cou, tandis que monsieur porte une veste en velours ou tweed. C’est probablement ainsi que nous nous représentons la bourgeoisie, car je n’ai pas besoin d’interpréter ou d’imaginer. Aussi vrai que du poulet au KFC. La caméra zoome sur un Baby-Foot. Voix orgasmique de Marie-Louise : « C’est exactement ce qu’on veut, quelque chose d’anti conformiste ».

C’est à ce moment précis que mes yeux se sont embués. Le coup en traitre. Elle aurait pu dire « c’est le kiff », ou de la « bombe », faire un high five ou checker avec son Jean – Alfred de mari, citer PNL ou Booba, dire que la maison était parfaite comme décor pour un Marc Dorcel, twerker, j’aurai probablement fait la moue mais l’entendre parler d’anti conformisme, elle qui incarne pour moi l’archétype de la norme, du suivisme, étant bien persuadé que c’est pour cette raison que la production de l’émission l’a sélectionné avec son mari, j’enrage et me désole. Alors j’ai cherché et Erich Fromm m’a apporté la réponse, limpide et tellement évidente, contenue dans son oeuvre « L’art d’aimer « que je ne saurai que trop recommander : La plupart des gens ne sont même pas conscients de leur besoin de conformisme. Ils vivent avec l’illusion qu’il suivent leurs propres idées et penchants, qu’ils sont individualistes, que les opinions auxquelles ils sont arrivés représentent l’aboutissement de leur propre réflexion et que, si leur idées rejoignent celles de la majorité, c’est en quelque sorte une coïncidence…. Mais en fait les gens veulent se conformer à un degré bien plus élevé qu’ils n’y sont contraints, du moins dans les démocraties occidentales… Dont acte.

Illustration : Max Ernst: Castor et Pollution – 1923