Bien raisonner serait (prétendument) l’apanage d’êtres austères, hautains voire exécrables, hors du temps, détachés des basses contingences matérielles, qui ne consacreraient leur intellect qu’aux Idées les plus élevées sans autres loisirs… Je n’aurai pas l’audace de prétendre que Socrate et Kierkegaard étaient les rois du dancefloor, ou que nos compères Hobbes et Pascal s’adonnaient à l’art de la vanne, mais il est possible d’échapper à cette image d’Épinal et d’associer pour le meilleur, réflexion et Entertainment. En ce sens, Karl Lagerfeld, invité de l’émission Quotidien laissait échapper ce fin constat, alors que Yann Barthes se désolait du manque d’attention des spectateurs des défilés qui brandissent tous à l’unisson leur portable et ne regardent finalement rien, le Kaiser de la mode prenait le contre-pied du « c’était mieux avant » et de la condamnation stérile et bien pensante, en arguant qu’il s’agit pour lui d’un applaudissement silencieux, d’une coutume de l’époque, que rien ne s’oppose à l’accepter, puisqu’il en est désormais ainsi… Il y a là semble-t-il matière à une belle réflexion ! A quoi bon s’évertuer à soliloquer sur des vétilles, quand nous n’avons aucune volonté individuelle ou collective de transformer nos mots en actes, ne faudrait-il pas plutôt privilégier la pensée constructive ? On peut toujours s’appuyer sur les trois tamis de Socrate plus que jamais d’actualité pour justifier cette pensée : Un jour, un homme vint trouver le philosophe Socrate et lui dit :

– Ecoute, Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s’est conduit.
– Je t’arrête tout de suite, répondit Socrate. As-tu songé à passer ce que tu as à me dire au travers des trois tamis ?
Et comme l’homme le regardait rempli d’étonnement, l’homme sage ajouta :
– Oui, avant de parler, il faut toujours passer ce qu’on a à dire au travers des trois tamis.
Voyons un peu ! Le premier tamis est celui de la vérité. As-tu vérifié si tout ce que tu veux me raconter est vrai ?
– Non, je l’ai entendu raconter et…
– Bien, bien. Mais je suppose que tu l’as au moins fait passer au travers du deuxième tamis, qui est celui de la bonté. Ce que tu désires me raconter, si ce n’est pas tout à fait vrai, est-ce au moins quelque chose de bon ?
L’homme hésita puis répondit :
– Non, ce n’est malheureusement pas quelque chose de bon, au contraire…
– Hum ! dit le Sage, essayons de nous servir du troisième tamis, et voyons s’il est utile de me raconter ce que tu as envie de me dire…
– Utile ? Pas précisément…
– Alors, n’en parlons plus ! dit Socrate en souriant. Si ce que tu as à me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l’oublier…

N’est-ce pas le principe qui devrait être érigé en règle par nos médias ?

Illustration TAKASHI MURAKAMI – Enso