Tandis que les médias expurgent toujours plus le sens des mots, j’en veux pour preuve le terme de « renoncement », qui aujourd’hui signifie tout à la fois preuve de constat d’échec, lâcheté, sortie par la petite porte et qui dans son acception noble veut dire : Lâcher prise, libération des contingences matérielles… nous assistons sans états d’âmes à des scènes tragiques sur le plan éthique et moral, en victimes complaisantes ou pire en acteurs conscients… résignés ?

La « formidable » émission Koh Lanta nous donne un exemple frappant de cet état de fait : Au terme d’un suspens insoutenable, les participants sont invités l’un après l’autre et isolément, a priori sans avoir reçus d’informations préalables, à rejoindre l’animateur qui se frotte les mains pour patienter, signe que le moment à venir sera d’une importance capitale sur le plan émotionnel. Avec stupéfaction, les aventuriers découvrent qu’un membre de chaque famille (mère, femme, femme enceinte) s’est déplacé jusqu’au lieu de tournage (en l’occurrence le Cambodge) pour témoigner de son affection à l’aventurier éprouvé par des conditions de vie réputées extrêmes. S’en suit une crise de larmes bien légitime, filmée comme il se doit sous tous les angles et qui à l’autre bout de l’écran, encourage le téléspectateur à se resservir une pleine poignée de mms pour supporter ces déchirantes retrouvailles. Les effusions ne durent que quelques secondes car ils doivent, pour passer un moment privilégié avec leur proche, s’affronter lors d’une épreuve de tir à l’arc, le gagnant devant à la fois être le plus habile dans cet exercice mais également le bourreau, car celui-ci aura pour charge de briser la flèche d’un concurrent afin de l’empêcher sciemment de retrouver son proche, témoin impuissant de ce concours. Evidemment, chaque participant s’est prêté à ce petit jeu avec plus ou moins bonne grâce, habité par la nécessité de triompher, cassant sur sa jambe la flèche de l’autre, à quelques centimètres du soutien moral qu’il ne reverra que.. quelques jours plus tard, l’émission touchant à sa fin. Au delà de l’absurdité de la scène, aucun participant (mais est-ce que la production aurait accepté un tel scénario ?) écoeuré par ce procédé sadique n’a cassé sa propre flèche au motif qu’il préfère se sacrifier plutôt que de s’adonner à une telle inhumanité. C’est donc volontaires et sûrs de leurs bons droits qu’ils ont légitimé leur acte employant les mots de vengeance ou de stratégie. Ce n’est qu’un jeu me direz-vous…

Avant la diffusion de cet évènement fédérateur au sein du foyer, c’est un présentateur de journal télévisé bien connu qui oppose les misère et s’insurge contre les migrants qui bénéficient d’un traitement de faveur au détriment de nos pauvres et qu’il ne faudrait qu’en même pas se tromper de priorité. C’est un joueur de foot qui prend un carton jaune de la part d’un arbitre zélé et qui applique à la lettre le règlement, parce qu’après avoir marqué un but, il témoigne de sa compassion à l’égard d’une équipe de football décimée lors d’un crash aérien en enlevant son maillot et laissant apparaitre un message d’amour. Les sanctions sont toujours irrévocables, l’un hiérarchisant l’indigence, l’autre appliquant aveuglément la loi.

Une série comme Westworld dans laquelle les humains paient pour tuer et violer en toute impunité dans un parc d’attraction, des humanoïdes en tous points semblables à nous mais dont c’est la prétendue raison d’être, témoigne en réalité du détachement qui nous accable, n’acceptant l’autre que de façon étanche et contemplative, sans aucune autre interaction que pour satisfaire des besoins primaires, « tu es parce que tu me permets de faire, mais tu n’obtiendras rien d’autre comme récompense ».

C’est la célébration constante de ceux qui sont et l’avilissement de ceux qui font, l’exécutant dans ce schéma n’a pas d’idées mais est réduit à une simple force d’application. Mark Zukerberg est un génie parce qu’il a créé Facebook (tout seul ?), tandis que les milliards d’utilisateurs qui alimentent chaque jour le réseau ne font qu’en apporter la preuve. C’est comme si on s’extasiait devant un tourne disque qui passerait un vinyle sans le son… C’est l’isolement constant sans altérité, la définition de l’être par son nombre de followers, combien même ces suiveurs sont passifs et sans interactions. C’est le rejet de l’union, de la construction commune, Hobbes avait-il à ce point raison lorsqu’il disait (Profecto utrumque vere dictum est) : Assurément, ces deux choses sont exactes (Homo homini Deus, et Homo homini Lupus) que l’homme est un dieu pour l’homme et que l’homme est un loup pour l’homme ? Serait-ce là aussi une sentence irrévocable, à cela prêt que l’individu retranché dans son égotisme est un dieu pour lui-même et un loup pour lui même, incapable de se remettre en question ou en perspective, enferré dans la conviction inconsciente qu’il n’existe que pour lui même et que les autres ne sont que les moyens ou objets qui justifient sa propre existence ? Opposer l’un au tout, n’est-ce pas totalement contre nature et par voie de conséquence contre productif ? L’émulation n’est-elle pas la meilleure manière d’obtenir des résultats ? Sommes-nous arrivés à un tel point d’anthropomorphisme que nous croyons être créateur et créature, sans autre nécessité que nous mêmes, définitivement autarciques ? Est-ce irrévocable ?