« Rien ne peut vous arriver si vite, si facilement, sans un retour de bâton », annonce le top model Sara Ziff à l’ouverture de son docu-journal « Picture me », qui porte un regard lucide sur les coulisses, à la fois glamour et sordides, du petit monde de la mode. Repérée dès l’âge de 14 ans dans les rues de New York, comme dans les contes de fées pour adolescentes, la jeune Américaine a été filmée par son petit ami, Ole Schell, sur une période de cinq ans quand elle faisait la une des magazines et défilait sur tous les podiums. Inconnue au premier regard, on finit par l’identifier tant on l’a vue sous toutes les coutures dans des publicités. La transformation de ce visage est d’ailleurs saisissante tout au long du film : on a beau savoir que maquillage et retouches font merveille, il reste difficile de relier ce visage nu, sans fard, à celui des photos survitaminées des magazines. Devant un énorme panneau publicitaire, pour lequel elle a posé et qu’elle découvre dans les rues de New York, Sara remarque d’ailleurs : « C’est curieux, je ne me vois pas du tout comme cette fille ».

D’avion en aéroport, de podiums en passerelles, passant d’un coiffeur à un maquilleur, la jeune fille croit vivre d’abord un rêve éveillé. Des séquences entières sont consacrées aux premiers chèques à multiples zéros qu’elle reçoit avec incrédulité : la caméra fait des allers-retours entre le chèque, en gros plan, et son visage enfantin, tour à tour émerveillé ou choqué. Mais petit à petit, la chronique de ce quotidien, d’abord une sorte de jeu innocent consistant à filmer l’envers d’un décor féerique, dévoile sa part d’ombre. Anorexie, déracinement de mannequins de plus en plus jeunes, agressions sexuelles, drogue : les maux de cet univers sont bien connus mais Sara Ziff fait parler ses copines de défilés, qui confient, souvent des larmes dans les yeux, leurs anecdotes troublantes. Comme cette jeune fille de 16 ans qui pense retrouver l’équipe technique dans un jacuzzi en fin de journée, pour n’y trouver que le photographe quinquagénaire, nu. Ou cette autre qui observe, stupéfaite, le photographe se dévêtir en pleine séance photo alors qu’elle-même pose nue.

Sara Ziff donne aussi la parole à des collègues qui ne travaillent pas assez et se retrouvent endettées envers leur agence de mannequins, qui avance les frais pour leurs déplacements et hébergements. Au fil des plans, elle se demande, de plus en plus souvent, si elle doit continuer à exercer ce métier qui lui apporte succès et argent mais la rend de plus en plus malheureuse. Elle pleure, exténuée, incapable de se protéger des ravages d’une exposition permanente à tous les regards. Lors d’une scène poignante, où Sara est filmée à hauteur de visage dans sa baignoire, elle hoquette de rage et d’épuisement en racontant son altercation avec un photographe dans les coulisses d’un défilé. Alors qu’elle le prie de poser son boîtier pendant qu’elle se change, il la mitraille, ne tenant aucun compte de sa demande. Le sentiment de ne pas exister vraiment, le vertige d’être traitée comme un bel objet à la disposition des autres.